29 11 2024
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Basée sur interview avec Hawa Ba, Coordinatrice de l’antenne AMFE SENEGAL-Association pour le Maintien des Filles à l’École à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis.
A l’occasion de la campagne des 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre, Voix EssentiELLES donne la parole à Hawa Ba, jeune leader engagée dans la lutte contre les violences basées sur le genre au Sénégal et pour un accès équitable à l’éducation des filles. Hawa a d’abord été présidente de la cellule locale de l’Association pour le Maintien des Filles à l’École à Ansde Balla (Matam) et occupe aujourd’hui le poste de Coordinatrice de l’antenne AMFE SENEGAL à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Elle nous raconte son parcours.
En grandissant à Asnde Balla, j’ai été témoin d’une réalité troublante : les jeunes filles avaient rarement la chance d’aller à l’école secondaire, du fait qu’ elles étaient mariées dès l’âge de 13 ans, souvent à des hommes beaucoup plus âgés. Pour beaucoup de mes amies, tel était leur destin. Elles ont été obligées d’abandonner leurs études, d’abandonner leurs rêves et de se concentrer sur la fondation d’une famille avant d’avoir eu la possibilité de comprendre qui elles étaient ou même ce qu’elles voulaient devenir.
Cette injustice a été le feu qui a alimenté ma passion pour lutter en faveur de l’égalité des sexes et contre les violences basées sur le genre (VBG) au sein de l’association sénégalaise AMFE (Association pour le Maintien des Filles à l’École) engagée sous l’initiative Voix EssentiELLES. J’ai pu constater de mes propres yeux à quel point ces pratiques néfastes, le mariage précoce comme les mutilations génitales féminines (MGF), sont profondément ancrées dans la tradition, rendant presque impossible tout changement des normes socio-culturelles. Même avec le soutien de ma famille, il a été difficile de surmonter les stéréotypes. La violence sexiste est un sujet tabou dans de nombreuses communautés et il n’a pas été facile d’engager le dialogue.
Mais à force de persévérance, le dialogue a commencé et les barrières ont commencé à tomber. Il est essentiel d’impliquer les jeunes filles dans toutes les instances de décisions en matière de santé , car elles sont les premières à être touchées par la violence sexiste, et il est tout aussi important d’impliquer les jeunes hommes pour promouvoir la masculinité positive. Si les jeunes hommes comprennent l’ impact des VBG et le principe universel des droits humains, ils peuvent être d’excellents alliés pour nous aider à changer le discours dans nos communautés. La voix des jeunes, filles et garçons, est puissante et leur participation aux campagnes de sensibilisation et aux séances d’apprentissage entre pairs est essentielle pour créer un changement durable.
Mentorat et développement du leadership
Le mentorat a été une influence majeure dans mon parcours de leadership. Depuis 2020, j’ai eu le privilège d’être guidée par Woppa Diallo, la présidente fondatrice de l’AMFE. Sa confiance en moi m’a montré que je pouvais transformer mes rêves en réalité et, plus important encore, que j’avais la responsabilité d’agir et j’ai pu gravir les échelons au sein de l’association. En 2023, j’ai participé au programme « She for Her – Ambassadrice pour un jour », où j’ai rencontré l’ambassadrice finlandaise. La voir dans une telle position de leadership a été une révélation. Cela a réaffirmé ma conviction que les femmes sont tout aussi capables que les hommes d’occuper des rôles importants et de prendre des décisions impactantes.
Apporter un réel changement dans la communauté
Depuis que j’ai rejoint l’AMFE, j’ai vu nos efforts de plaidoyer commencer à porter leurs fruits. L’un des plus grands défis pour les filles de ma communauté était le manque d’accès aux écoles secondaires. Les parents n’étaient pas à l’aise d’envoyer leurs filles dans d’autres villes pour poursuivre leurs études, donc seuls les garçons étaient autorisés à poursuivre leurs études. Pour résoudre ce problème, AMFE a mis en place un système dans lequel les mères dans les écoles agissent comme tutrices de ces filles. Elles fournissent un logement sûr pendant la semaine et les filles rentrent chez elles le week-end. Ce système a rassuré les parents et, aujourd’hui, davantage de filles sont autorisées à poursuivre des études supérieures.
Une autre avancée majeure a été l’amélioration de la communication entre parents et enfants. Nos discussions sur les dangers du mariage précoce et des MGF ont ouvert un espace aux familles pour discuter de ces sujets en toute transparence. Les parents commencent à davantage comprendre les graves conséquences de ces pratiques sur la santé sexuelle et la psychologie des filles concernées, et nous les voyons reconsidérer des traditions ancrées depuis longtemps qui nuisent à leurs enfants.
Notre travail ne s’arrête pas là. Nous plaidons auprès des dirigeants politiques, des chefs de village et des autorités locales pour que des pratiques néfastes comme le mariage des enfants et les MGF soient définitivement abolies. Nous avons même fait appel aux Badienou Gokh, des marraines communautaires qui ont la confiance des habitants et qui peuvent intervenir lorsqu’elles constatent quelque chose d’anormal. Grâce à leur implication, nous avons pu mettre en place un système d’alerte et de prise en charge. Ainsi, nous restons vigilants et réactifs face aux cas de violences sexistes dans nos communautés.
Regard vers l’avenir : un avenir sans violence sexiste
Aujourd’hui, davantage de personnes participent à nos discussions, partagent leurs idées et contribuent à la cause. L’AMFE s’est développée et de nouvelles cellules se sont formées dans lesquelles les jeunes prennent la relève. Chacune de ces cellules dispose d’un mentor, une personne en qui les parents ont confiance, qui guide les membres et veille à ce qu’ils restent concentrés sur leurs objectifs. Ce système nous permet d’offrir des opportunités de leadership aux jeunes filles et aux jeunes garçons, et il fait une réelle différence dans la façon dont la communauté perçoit leur rôle. L’engagement civique, que l’on soit une jeune fille ou un jeune homme, est la clé de la justice sociale.
Ma vision du futur
En regardant vers l’avenir, je vois un avenir où les femmes et les filles du Sénégal – et du monde entier – seront autonomisées, où les pratiques néfastes comme le mariage précoce et les MGF seront éliminées et où tous les jeunes, quel que soit leur sexe, auront accès équitablement à l’éducation et à toutes opportunités. Mais pour que cette vision devienne réalité, les jeunes doivent s’impliquer.
À ceux qui veulent faire une différence dans leur communauté, je dis ceci : « Commencez par avoir confiance en vous-même. Croyez en votre capacité à créer le changement. Prenez le temps de comprendre votre communauté et soyez patient. Le changement prend du temps. Écoutez les expériences des gens, créez un dialogue et impliquez les autres dans la conversation. Enfin, n’hésitez pas à vous impliquer. Joignez-vous à des activités, participez à des discussions et devenez un acteur du mouvement pour la justice sociale. Ensemble, nous pouvons changer le monde. »
« Laissez les jeunes filles choisir ; chers parents, je vous en prie, Entendez [notre] volonté ! »